Que peut-on attendre du droit à la réparation en 2024 ?
Droit à la réparation

Que peut-on attendre du droit à la réparation en 2024 ?

Tel un train sur sa lancée, le mouvement du droit à la réparation progresse inexorablement. Sa destination : un avenir dans lequel tous les appareils seront réparables et où nous cesserons de produire autant de déchets électroniques inutiles. L’année dernière, des lois régulant la réparabilité des appareils ont été adoptées des deux côtés de l’Atlantique. Et nous nous attendons à ce qu’il en soit de même cette année. Le train du droit à la réparation est sur les rails (tout comme le train polonais réparé par des hackers en décembre 2023) ! 

Ce train polonais a été réparé par des hackers en 2023. Ils ont découvert – et contourné avec succès – un logiciel qui empêchait le train de fonctionner après qu’il ait été réparé dans un centre de réparation tiers.

Dans l’UE, un nouveau règlement sur la réparabilité a été adopté : les smartphones et les tablettes doivent désormais être conçus avec des exigences minimales en matière de réparabilité, et les batteries remplaçables seront bientôt la norme dans les appareils électroniques. D’ici fin 2024, les ports de type USB-C seront obligatoires dans plusieurs catégories d’appareils électroniques.

Le droit à la réparation électronique est devenu une réalité aux États-Unis. En 2023, les États de New York, du Minnesota et de la Californie ont signé des lois qui exigent que les pièces détachées, la documentation et les outils pour l’entretien, le diagnostic et la réparation des appareils électroniques soient accessibles au grand public. (De plus, le Colorado a adopté le tout premier projet de loi sur le droit à la réparation pour les équipements agricoles et le Maine une mesure protégeant le droit à la réparation des voitures, avec 84 % des voix).

Le Canada a également rejoint le mouvement. Le Québec a adopté le projet de loi 29 en novembre 2023, modifiant leur loi sur la protection des consommateurs. Sur les traces de la France, l’obsolescence programmée a été interdite dans les appareils et le droit à la réparation des biens du grand public a été instauré.

En 2024, davantage d’États américains devraient adopter une législation sur le droit à la réparation, avec plus de 20 projets de loi déjà présentés, et davantage d’appareils seront inclus dans la législation de l’UE (2). Taïwan et la Belgique ont annoncé leur intention d’adopter prochainement un indice de réparabilité. 

Grâce à ces nouvelles lois, la réparabilité des appareils est une réalité de plus en plus courante. Mais que signifient tous ces textes de loi pour les propriétaires d’appareils ? Et que pouvons-nous attendre de l’année 2024 ?

Les étapes européennes et leur signification pour le grand public

L’électronique jetable appartiendra au passé. Imaginez un peu des écouteurs, des Apple Pencil, des cigarettes électroniques réparables… C’est la fin de l’électronique du prêt-à-jeter !

Avant 2023, la directive commune sur les chargeurs avait été adoptée et l’UE avait déjà mis en place des règles de réparabilité spécifiques aux produits : les directives sur l’écoconception. Les appareils électroménagers comme les lave-linge, les téléviseurs, les lave-vaisselle et les réfrigérateurs sont concernés par ces dernières. Les exigences portent principalement sur la disponibilité des pièces détachées pendant 7 à 10 ans – dont certaines ne seront accessibles qu’aux centres de réparation professionnels – et sur l’accès aux informations relatives à la réparation et au diagnostic en vue de changer ces pièces.

L’année écoulée a aussi été marquée par l’inscription des premiers appareils TIC (technologies de l’information et de la communication) sur la liste des appareils concernés par les directives sur l’écoconception. Les téléphones et les tablettes vendus en Europe devront répondre aux exigences de l’UE en matière de réparabilité. Ils devront disposer de pièces de rechange et de documentation pendant au moins 7 ans, avoir une conception modulaire et disposer de mises à jour logicielles pendant 5 ans. Un indice de réparabilité et de durabilité informera les utilisatrices et utilisateurs du degré de réparabilité et de durabilité de l’appareil, avant l’achat. En outre, les mises à jour qui entraînent une baisse des performances de l’appareil seront interdites. Pour garantir la modularité des téléphones et des tablettes, l’UE a défini les pièces qui doivent être accessibles de manière indépendante et celles qui peuvent faire partie d’un module. Ainsi, le diagnostic et la réparation téléphone / tablette seront plus efficaces. Seule la pièce cassée sera remplacée, le temps de démontage et le coût des pièces devraient également diminuer. Pour s’assurer que les appareils sont durables, l’UE a défini une norme de durabilité minimale avec des exigences telles que la résistance aux chutes accidentelles et des performances obligatoires pour les batteries. Enfin, pour favoriser le recyclage, les plastiques contenus dans les appareils devront être indiqués de manière adéquate et les informations relatives au démontage devront être disponibles pendant 15 ans. Cette loi entrera en vigueur le 20 juin 2025.

Outre le règlement sur l’écoconception des téléphones et des tablettes, l’année 2023 a également vu arriver une réglementation plus poussée sur la réparabilité. Le 17 août 2023, le Règlement sur les batteries, comme on l’appelle communément, est entré en vigueur. Ce texte ambitionne de réglementer l’ensemble du cycle de vie des batteries vendues dans l’UE : de l’empreinte carbone de la fabrication jusqu’à leur recyclage. Toutes les batteries sont concernées, qu’elles soient rechargeables ou non, à usage industriel, à usage domestique (batteries externes ou internes), pour les véhicules électriques, pour les moyens de transport légers tels que les scooters ou les vélos électriques, et pour le démarrage, l’éclairage et l’allumage d’un composant, quels que soient leur forme, leur volume, leur poids, leur conception, leurs matériaux, leurs mécanismes chimiques, leur utilisation ou leur but. Cependant, tous les types de batteries ne sont pas réglementés selon les mêmes mesures. 

D’ici 2027, presque tous les appareils électroniques vendus dans l’UE devront être équipés de batteries remplaçables par l’utilisateur.

Dans le cas des batteries portables pour appareils électroniques, elles doivent être amovibles et remplaçables. En d’autres termes, la batterie doit pouvoir être retirée à l’aide d’outils disponibles dans le commerce, donc sans outils spécialisés ou propriétaires (sauf s’ils sont fournis avec l’appareil), sans chaleur ni solvants (quelle heureuse nouvelle !). De plus, la batterie doit pouvoir être remplacée par une autre batterie compatible, sans que le fonctionnement, les performances ou la sécurité de l’appareil en soient affectés. Les batteries de rechange doivent être disponibles pendant au moins 5 ans et leur prix doit être raisonnable. Enfin, il faut relever un aspect crucial : les verrous logiciels bloquant les batteries compatibles sont interdits.

Les conséquences de ce règlement sur les batteries sont très encourageantes. L’électronique jetable appartiendra au passé. Imaginez un peu des écouteurs, des Apple Pencil, des cigarettes électroniques réparables… C’est la fin de l’électronique du prêt-à-jeter ! Sans compter les incendies d’usines de déchets qui seront évités à l’avenir. Les batteries au lithium sont l’ennemi numéro un des broyeuses, à tel point que l’oubli de retirer la pile d’une carte d’anniversaire musicale peut mettre le feu à toute une usine de déchets. Pouvoir démonter facilement une batterie téléphone, tablette, console, etc. est crucial, non seulement pour la réparation électronique, mais aussi pour le recyclage. Aussi impatients que nous soyons, nous devrons attendre le 18 février 2027 pour voir des batteries amovibles dans la plupart de nos appareils.

Les étapes américaines et leur signification pour le grand public

L’État de New York exige désormais des fabricants d’appareils électroniques qu’ils fournissent la documentation, les pièces et les outils nécessaires à l’entretien, au diagnostic et à la réparation.

Après cet aperçu de la trajectoire du droit à la réparation en 2023 en Europe, notre histoire continue maintenant de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, où de nouveaux rails ont aussi été posés pour le train du droit à la réparation.

C’est l’État de New York qui a ouvert le bal : à la toute fin de l’année 2022, la loi Digital Fair Repair Act a été promulguée. Cette loi est entrée en vigueur le 28 décembre 2023.  L’État de New York exige maintenant que les fabricants d’appareils électroniques fournissent au public la documentation, les pièces et les outils nécessaires à l’entretien, au diagnostic et à la réparation de ces appareils, ce qui représente une avancée significative pour la réparabilité des appareils. Les propriétaires d’appareils, les locataires et les centres de réparation indépendants ont désormais légalement accès aux ressources nécessaires à la réparation électronique. La loi concerne tout appareil électronique de plus de 10 $, dont le bon fonctionnement dépend de l’électronique et qui a été fabriqué à partir du 1er juillet 2023. L’électroménager, les appareils médicaux, les véhicules à moteur, les outils électriques et les équipements agricoles sont exclus.

New York

Qui a acheté à New York un téléphone dont la date de fabrication est postérieure au 1er juillet 2023, a désormais le droit d’effectuer les mêmes réparations téléphone que les centres de réparation agréés (les centres appartenant directement au fabricant, comme les Apple Store, ou les centres de réparation sous contrat). Il est possible de faire effectuer la réparation par le centre de réparation indépendant de son choix. Ainsi, on peut demander au fabricant un écran de remplacement pour changer un écran téléphone cassé, ainsi que les informations et les outils, logiciels et matériels, nécessaires à cette réparation téléphone. Le fabricant est désormais tenu de fournir la documentation sous forme numérique, gratuitement. Les pièces de rechange et les outils doivent être accessibles, à un prix raisonnable et livrés en temps voulu. L’accès doit être libre : pas de programme de formation obligatoire ni d’autorisation par le fabricant. Bref, les propriétaires d’appareils et les centres de réparation indépendants doivent avoir accès aux mêmes informations, pièces et savoir-faire qu’un centre de réparation agréé – dans les mêmes conditions et sans poser de questions. 

Avec cette législation, l’État de New York a ouvert le marché de la réparation. Comme il y a plus de concurrence, les réparations deviendront certainement une option plus économique et avantageuse que l’achat d’un appareil neuf. Et les propriétaires pourront désormais utiliser leurs appareils aussi longtemps que souhaité.

En 2023, des lois sur le droit à la réparation ont été adoptées en Californie, au Colorado, au Minnesota et dans le Maine. La loi du Colorado couvre les équipements agricoles et celle du Maine les données automobiles.

Minnesota

Quelques mois après l’État de New York, le Minnesota a entendu siffler le train et s’est lancé dans la course. Le 24 mai 2023, le gouverneur a signé la loi Digital Fair Repair Act, faisant du « pays des 10 000 lacs » le « pays des 10 000 réparations », voire plus, comme nous l’espérons. Les fabricants d’appareils électroniques et électroménagers (lave-vaisselle, cuisinières, lave-linge/sèche-linge) qui vendent leurs produits dans le Minnesota sont tenus de fournir au grand public la documentation, les pièces et les outils nécessaires à l’entretien, au diagnostic et à la réparation de ces appareils. La loi du Minnesota comporte pratiquement les mêmes exigences que celles de l’État de New York. Toutefois, la loi du Minnesota ajoute trois nouvelles exigences très importantes. Tout d’abord, le Minnesota est le premier État à inclure les appareils électroménagers. Quel soulagement pour qui a déjà payé les yeux de la tête pour réparer le verrou de porte d’un lave-linge ou qui a dû jeter un aspirateur parce qu’il était impossible de réparer le mécanisme d’enroulement du cordon. Deuxièmement, l’écosystème de réparation (pièces, outils, documentation) doit être disponible 60 jours après la vente du premier modèle de produit. Enfin, la loi prévoit une période de rétroactivité étendue. Elle entre en vigueur le 1er juillet 2024, mais concerne les produits vendus à partir du 1er juillet 2021.

Quel soulagement pour qui a déjà payé les yeux de la tête pour réparer le verrou de porte d’un lave-linge ou qui a dû jeter un aspirateur parce qu’il était impossible de réparer le mécanisme d’enroulement du cordon.

Susan Eggman, promotrice du projet de loi californien, avec les activistes du droit à la réparation de PIRG et une pile représentant les déchets électroniques générés en seulement deux minutes en Californie.

Californie

Mais ce n’était pas la dernière étape américaine du train du droit à la réparation en 2023. Le troisième plus grand État des États-Unis et le foyer de la Silicon Valley, l’État de Californie, a aussi adopté sa loi sur le droit à la réparation. Les exigences de la Californie sont très similaires à celles du Minnesota. Certes, la Californie n’impose pas de délai de 60 jours pour la mise à disposition des pièces, des outils et de la documentation après la vente du premier modèle de produit. Mais elle introduit une nouvelle exigence : l’écosystème de réparation doit être disponible pendant une période déterminée par le prix du produit. Elle exige 3 ans de réparabilité pour les produits dont le prix de gros est compris entre 50 et 99 dollars, et 7 ans pour les produits dont le prix de gros est supérieur à 100 dollars. C’est énorme ! Cette période tient compte de la durée de vie des produits. Les téléphones, les ordinateurs portables, les enceintes portables, les écouteurs et les liseuses électroniques – pour ne citer que quelques appareils – seront réparables pendant au moins 7 ans. On est encore loin de la durée de vie de 18 ans que le Bureau européen de l’environnement recommande pour les aspirateurs, ou des 25 ans qu’il préconise pour la durée de vie des téléphones. Mais au moins, les produits seront utilisés plus longtemps qu’aujourd’hui.

Vous vous demandez peut-être ce que cela signifie ? Les exigences sont à la fois différentes et similaires d’un État à l’autre. Que pouvons-nous attendre des fabricants ? D’après nos échanges avec les fabricants et les activistes du droit à la réparation, nous nous attendons à ce que la plupart des fabricants qui vendent des produits dans les États de New York, du Minnesota et de Californie remplissent toutes les conditions à la fois. 

Le voyage qui nous attend

Le train du droit à la réparation a encore pris de la vitesse en 2024 ! Dans l’UE, on peut s’attendre cette année à un futur règlement sur la réparabilité des ordinateurs portables et à un nouveau cadre législatif pour le droit à la réparation. Le futur règlement de l’UE sur les ordinateurs portables est encore en discussion. Une consultation avec les parties prenantes (principalement des fabricants et ONG) a eu lieu le 7 décembre 2023. Néanmoins, nous nous attendons à des exigences similaires à celles pour la réparation téléphone et tablette. Les pièces de rechange et la documentation pour le diagnostic et la réparation devraient être disponibles, les appareils devraient être modulaires, et leur réparabilité ainsi que les mises à jour logicielles assurées pendant un certain nombre d’années – a minima leur durée de vie prévue. 

La nouvelle directive du droit à la réparation de l’UE exige que les réparations soient effectuées pour les produits hors garantie. Si le texte ne change pas, les constructeurs seront obligés de réparer les produits hors garantie, à la demande des consommatrices et consommateurs, à moins que le produit ne soit endommagé au point d’être irréparable. Toutefois, cette disposition ne s’applique qu’aux produits pour lesquels il existe déjà un règlement sur l’écoconception : lave-linge, réfrigérateurs, aspirateurs, lave-vaisselle, téléviseurs, serveurs et appareils de stockage de données, et bientôt smartphones, tablettes et ordinateurs portables.

La nouvelle directive prévoit également un format standard pour la communication des prestations de réparation. Les devis des centres des réparations devront mentionner le défaut identifié, la méthode de réparation, la durée estimée de la réparation, le coût de la réparation et la possibilité de fournir un appareil de remplacement pendant la durée de la réparation. Cette mesure devrait contribuer à accroître la transparence et la concurrence tarifaire des prestations de réparation, en particulier entre les centres de réparation indépendants et les agréés.

Aux États-Unis, 19 États ont présenté plus de 35 projets de loi sur le droit à la réparation, notamment les États de l’Alaska, de l’Indiana, du Massachusetts, du Missouri, du New Hampshire, de l’Ohio, de la Pennsylvanie et de Washington. Le géant Google a témoigné en faveur d’un projet de loi dans l’Oregon (adopté début mars 2024) et a publié un livre blanc décrivant pourquoi il défend le droit à la réparation en général. 

Des cheminots en train de réparer un train à Bruges. Image via morris278 sur Flickr.

En route vers un monde meilleur

Nous attendons avec impatience de voir nos options de réparation se multiplier au fur et à mesure que le train du droit à la réparation avance. Nous avons hâte d’être les témoins de l’essor des prestations de réparation, de la croissance de l’emploi et de l’industrie, de l’avancée de l’écoconception et de la diminution du flux des e-déchets, en particulier dans les pays et États qui ont adopté un cadre législatif. Nos appareils dureront plus longtemps. La réparabilité est en passe de devenir un facteur de différenciation des produits, donc un facteur d’achat. Comment le design va-t-il évoluer ? Les fabricants vont-ils se faciliter la tâche et concevoir des produits faciles à diagnostiquer et à réparer ? Quels moyens innovants vont-ils imaginer pour faciliter le diagnostic et la réparation ? Nous sommes ravis de voir ces questions trouver des réponses. Tout le monde à bord !  

Cet article a été traduit par Claire Miesch.